De l'autre côté
du Ladakh, à l'ombre du grand Himalaya, existe encore un autre monde,
un pays nommé Zanskar. Haute vallée perdue dans le ciel, cernée
de pics aux neiges éternelles, traversée de rivières
tumultueuses, Zanskar, Doda, Tsarap.
Ces seules voies pédestres ou cavalières, quatre mois l'an,
l'ont gardée dans un profond isolement troublé parfois au cours
des siècles par des incursions musulmanes venues du Cachemire.
Cependant dès le VIIe siècle, le Bouddhisme issu du Tibet y
avait pénétré, le liant au Ladakh par la religion et
la culture. Petit royaume indépendant, annexé au XVIIe siècle
par ce trop puissant voisin dont il a dès lors suivi le destin religieux
et politique.
Le soleil brûlant, la bise du soir, le froid nocturne sont les compagnons
de la brève saison estivale. L'hiver interminable fermera les cols,
ensevelira le pays dans un linceul de neige et de glace, désert blanc,
livide et pathétique.
Un voyage au Zanskar est toujours une expérience entre matérialisme
et mysticisme. Il est toujours un cheminement solitaire, à la limite
de soi-même, à l'extrême de ses perceptions et de ses forces.
Mais les montagnes omniprésentes sont magiques dan une débauche
picturale hallucinée, dans un chaos minéral visionnaire, dans
une mouvance infinie.
L'Adi-Bouddha primordial semble avoir essayé toutes les couleurs en
harmonies ou en contrastes, projeté toutes les formes en une architecture
de l'insolite et de l'illimité.
Face à face originel de la terre et du ciel. La création est
encore ébauche ou déjà perfection, l'imaginaire réel.
Approche lente d'un monde neuf de démesure, mais d'absolue beauté,
sous des jeux de lumières changeantes. Longues marches désertiques.
L'humain existe-t-il encore? Au moment du doute, quelques yaks ou moutons,
un cavalier, un chörten, un hameau-oasis, un monastère agrippé
au roc, rompent un cycle journalier d'éternelle solitude.
Chemins jalonnés de cols, à gagner pas à pas, avec le
coeur qui cogne, le souffle qui s'épuise et soudain, la passe victorieuse.
"Lha gyalo !" ("les dieux ont triomphé").
Libéré, le corps se repose, les yeux s'enchantent, le coeur
s'émeut, l'esprit s'éveille et glorifie. Le Voyage itinérant
est clos.
Mais l'autre Voyage ?
La montagne, la solitude, le silence, la couleur, la lumière, mille
fils ont tissé jour après jour une nouvelle trame aux modes
de perception et de pensée, aux concepts premiers.
La marche initiatique se prolonge au-delà, de contradictions en vraisemblances,
de doutes en certitudes, de voiles obscurs en symboles signifiants, de prémisses
en finalités.
Plus longs encore sont ces chemins. Hantée par les montagnes magiques,
une évidence s'impose : la clarté est là-haut dans cet
autre monde.Terres de mirages, de sortilèges, ou terres de vérité
et d'éveil.